FIONA KRÜGER | L’artiste, le temps et la mort

»J’apprécie la précision. Mais elle ne me fait pas rêver. 


Elle est Ecossaise, artiste, designer. Elle est arrivée à l’horlogerie en voulant devenir enseignante. Ses montres memento mori et son indépendance d’esprit lui ont ouvert les portes d’artisans et détaillants parmi les plus influents du secteur. Nouvelle étape en cours, révélation en juin.


Stéphane Gachet

Faut-il être natif de l’arc jurassien ou descendant d’une dynastie d’horlogers pour entrer en horlogerie ? Hell, no ! Fiona Krüger, jeune Ecossaise trentenaire formée à la sculpture à Edimbourg, en est la preuve vivante : c’est en voulant devenir enseignante après avoir été galeriste d’art en Afrique du Sud qu’elle a mis le pied dans la Watch Valley, début d’un parcours qui a été éclairé par les plus grands : Peter Speake-Marin, Kari Voutilainen, Jean-Marc Wiederrecht et ses fils, Anita Porchet, Laurent Picciotto, Greg Simonian, etc. Ces noms ne vous disent rien ? Simplement quelques personnalités parmi les plus influentes, chacune dans sa spécialité : horlogers, artisans, détaillants.

Son leitmotiv : « Faire des pièces qui parlent ! » Paradoxe, elle entre en scène avec une tête de mort, muette par nature. Cet emblème, emprunté au classique memento mori, vaudra à la créatrice une belle réputation. Ses montres crânes seront déclinées en diverses versions, tailles, couleurs, mouvements, décorations, comme autant de petits fruits acidulés récoltés au cours d’une aventure, commencée fin 2013 et menée de front par Fiona et son époux, Monsieur Krüger.

Le printemps 2018 marquera un grand tournant. Pour la première fois, Fiona Krüger sortira de sa zone de notoriété et quittera le champ du memento mori, avec une pièce dont elle ne dit encore rien, mais qui fera à nouveau le lien entre le temps et la mécanique : « Pour moi, l’horlogerie est un mode d’expression complexe. Il faut que la montre ait une signification. » En guise de teaser, précisons que pour la première fois elle bénéficiera d’un mouvement original (toutes les autres sont équipées de calibres industriels), développé par Agenhor, constructeur à Meyrin (lire page 6). Levé de voile courant juin.


»L’horlogerie est un mode d’expression complexe. Il faut que la montre ait une signification. – Fiona Krüger


A terme, la créatrice projette d’étendre encore la collection, à trois ou cinq familles de produits. Toujours sur un modèle d’affaires simplifié au maximum. Elle, artiste designer, et son mari, entrepreneur multitâche, tous deux installés en Alsace : « Ni trop près, ni trop loin du sérail horloger. » Un financement limité à l’essentiel : « Nous devons vendre pour créer. » Des réalisations sur commande ou des séries limitées (pas plus d’une vingtaine d’exemplaires par référence jusqu’à aujourd’hui (un peu moins d’une centaine de montres vendues à ce jour). Une production externalisée, y compris service après-vente. Une distribution construite sur une poignée de détaillants spécialisés dans le monde, un peu de vente directe (environ 10%).

Et le souci de rester proche des marchés : « Pour nous, c’est important de connaître le client final. » Car, contrairement à une idée reçue, le motif tête de mort n’intéresse pas qu’un club sélect de rockers et de roadies. L’éventail est beaucoup plus large que cela : « Professeurs, entrepreneurs, hommes, femmes, même un octogénaire, Mexique, Chine, Europe, Etats-Unis, etc.»

Mais cette partie de l’histoire n’aurait jamais été écrite sans une double visite : de la manufacture Audemars Piguet et du musée Patek Philippe. Un vrai choc : « Je n’y croyais pas. J’ai découvert qu’il était possible d’être créatif à un niveau de qualité exceptionnel. » Ces visites étaient organisées par l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, dont Fiona Krüger suivait le master en produits de luxe. L’un des exercices était de dessiner une montre pour Audemars Piguet : « Je suis vite arrivée à la réflexion que le monde n’avait pas besoin d’une montre de plus. » Elle cherche alors une thématique, une bonne raison d’en faire une. Ce sera l’homme, le temps, la mort.

Le crâne s’impose comme la quintessence de toutes les influences, de Mary Stuart, reine d’Ecosse qui posséda une montre memento mori, au folklore mexicain, où Fiona passa sa prime adolescence. Le motif se construit lentement, couche par couche, les couleurs, les matériaux. La technique horlogère elle-même ne la fascine pas, sinon pour son potentiel graphique : « J’apprécie la précision, mais elle ne me fait pas rêver. »

Audemars Piguet ne retiendra pas son projet. Fiona en fera son travail de diplôme. S’ensuivra une rencontre décisive avec l’horloger Peter Speake-Marin, qui assemblera son prototype. Le jury se réunit en juin 2011. Très vite la montre accroche les réseaux sociaux. Une année plus tard, elle a reçu près de 200 emails de clients potentiels. Elle mettra encore plus d’une année pour trouver les partenaires et lancer une production de deux fois 12 pièces.

Une précommande au Mexique. Une commande en Chine. Puis le salon de Bâle 2014, où elle rencontre le détaillant Laurent Picciotto et entre chez Chronopassion, une consécration en soi. Suivront les Etats-Unis, avec Westime et Provident, et le Mexique.

Fin 2015, nouvelle rencontre, par hasard, nouvelle pièce : un crâne plus petit et guilloché, réalisé sous la bienveillance de l’horloger Kari Voutilainen, une sommité dans sa catégorie, qui vient d’acquérir un cadranier dans le vallon de Fleurier. La prochaine étape se présente bientôt, faite à nouveau d’une rencontre, cette fois avec les frères Nicolas et Laurent Wiederrecht, qui lui ouvre les portes d’Agenhor et la dirige vers son premier mouvement clé en main. Mais cela, nous le découvrirons dans quelques mois. |


 

N°26
Mars 2018

 
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SOMMAIRE | 26
Diktat de la nouveauté | Or éthique | Lanco (I) | Cloud & Sell-out | Agenhor | Hublot & Milan | Glaces | Enchères : Phillips, Bacs & Russo | Interview Thierry Stern, Patek Philippe | Interview Franz Linder, Mido | Fiona Krüger | Casio : 100 millions de G-Shock | Halda, Suède | Interview Jean-Christophe Babin, Bulgari…


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