TISSOT | Stratégie

La méthode du milliardaire qui ne s’en donne pas l’air


La marque phare du Locle fait partie du petit club des fabricants dont le chiffre d’affaires s’écrit à neuf chiffres. Et Tissot est le seul membre du club à manœuvrer quatre millions d’unités par an. Pas seulement une affaire de prix.


Christian Kaufmann

Quand François Thiébaud prend la présidence de Tissot, en 1996, la maison écoule 840’000 montres par an et Nicolas Hayek lui demande de viser les millions de pièces. Il n’y croit qu’à moitié. Tissot dépasse aujourd’hui les quatre millions d’unités par an et fait partie du petit nombre de marques horlogères en Suisse dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard de francs, au côté de Rolex, Patek, Omega et Longines. Et le message du président est très clair aujourd’hui: «Je veux les six millions !»

Au-delà de la performance brute, Tissot témoigne des vertus capitales des grands volumes. François Thiébaud récite une leçon apprise de Nicolas Hayek et largement appliquée depuis: «Les quantités permettent de contrôler les coûts. Les volumes permettent d’investir et de prendre des décisions pour augmenter la qualité.» Le prix à payer ? «Ne pas chercher dès le début les marges de prestige.» A quoi il faut ajouter que l’exercice n’est pleinement jouable qu’à l’intérieur d’un groupe présent sur toute la pyramide, de l’entrée de gamme jusqu’au sommet de l’exclusivité, et doté d’un dispositif industriel digne de ce nom.


»Les quantités permettent de contrôler les coûts et d’investir. Mais il ne faut pas chercher dès le début les marges de prestige. – François Thiébaud, Tissot


L’objectif déclaré est d’approcher la clientèle avec bienveillance. Selon l’immuable leitmotiv que François Thiébaud sert à ses équipes de création: «On ne fait pas un produit pour se faire plaisir. Nous ne sommes pas là pour nous servir, mais pour nous mettre au service de la clientèle.» En d’autres termes, avancer sans agressivité et sans précipitation, mais creuser avec détermination l’écart avec la concurrence et gagner des parts de marché.

La recette est simple: garder un peu d’avance sur les autres en termes de contenu horloger et de technologie sans quitter son segment de prix.

L’un des gestes inauguraux de François Thiébaud avait été l’introduction du verre saphir, en remplacement du verre minéral cassant et bon marché. Il y a 20 ans, c’était un luxe pour une marque moyen de gamme. Les volumes ont permis de négocier le coût de la fourniture et de le faire sans augmenter le prix de vente.

C’est avec cette même détermination que Tissot s’efforce de rester au sommet de la technologie. La T-Touch viendra tout de suite en tête, avec raison,et nous en reparlerons l’an prochain avec la première smartwatch de la ligue. Mais prenons plutôt l’exemple des lignes classiques avec l’évolution des mouvements automatiques.

Dès 2012, alors que l’ensemble de l’industrie est paniquée à l’idée de manquer de mouvements de base (Swatch Group resserre les approvisionnements), Tissot lance son Powermatic 80, une version up-to-date (80 heures de réserve de marche contre 42, chronométrie au top, facilité d’assemblage et de service) du tracteur ETA2824, celui qui équipe la quasi-totalité des montres trois aiguilles automatiques standards en Suisse.

Le Powermatic 80 équipe aujourd’hui près de 90% des deux millions de montres mécaniques produites par Tissot chaque année, sur le segment 600-800 francs – une version encore plus sophistiquée, avec spiral en silicium, équipe le segment 800-1000 francs. Entre-temps le Powermatic a aussi été décliné dans de petites complications.

En 2014-2016, le marché recul fortement et le segment d’entrée est sous forte pression. La concurrence rame pour maintenir ses prix et rester dans la course. La seule alternative est de renforcer les lignes les plus simples et le quartz. Pas pour Tissot, qui sort dans cette période une autre bombe concurrentielle: Swissmatic. La version Tissot du Sistem51 développé pour Swatch, qui permet de faire le pont avec le haut de gamme quartz (prix Tissot) avec un premier prix pour une montre automatique sous la barre des 400 francs.

Le même best-seller depuis 15 ans

La même approche systématique est adoptée pour la construction du catalogue, qui compte quelque 600 références réparties en six familles. Nicolas Clerc, vice-président produits, souligne que l’évolution technologique a aussi ses contraintes: «Sur nos volumes, nous sommes obligés de recodifier tous les produits.» Le rythme des nouveautés est ainsi très soutenu: près de 120 par année.

Le renouvellement des gammes est donc très rapide, plus encore sur les modèles femme – une spécialité difficile, précise Nicolas Clerc: «La montre dame est aussi complexe que la smartwatch, tout le monde a un avis différent.»

Le catalogue réserve tout de même quelques exceptions, comme la très classique ligne Le Locle, qui a été dessinée il y a une quinzaine d’années et figure presque inchangée au catalogue. Avec logique puisqu’il s’agit du best-seller de la maison.

Enfin vertu des volumes toujours, l’optimisation ne se fait pas que sur les produits. Tissot sert aussi régulièrement de poisson-pilote pour l’ensemble du groupe. Il a été le premier à bénéficier d’un centre de logistique automatisé, aujourd’hui répliqué chez Omega. Tissot est maintenant en train d’ouvrir la voie sur un autre terrain, un peu plus intangible mais tout aussi essentiel: la traçabilité du sell-out. Chaque montre Tissot est taguée à travers la carte de garantie et peut être suivie à la trace, de son départ du Locle jusqu’au client final. |


 

N°27
Avril 2018

 
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SOMMAIRE | 27
Smartwatch | Seiko 5 | Lanco (Suite) | Comeback du moyen de gamme | Tudor | Jörg Hysek | Xavier Dietlin | Vaucher | Tissot | Art mécanique, Sainte-Croix | Carl F. Bucherer | Spiral | La Joux-Perret & Citizen | Interview Carl Elsener, Victorinox | Czapek | Singer Reimagined | Favre-Leuba | Le Rhône | Alpina & Kickstarter…