LIP | Les visées internationales d’un ancien fleuron français

Lip refourbit son passé


La marque emblème de l’horlogerie franc-comtoise se prépare à entrer sur le champ de la montre design vintage à l’international. Après un redémarrage très franco-français.

Stéphane Gachet

C'est le rêve de beaucoup de managers: relancer une marque mythique dans le coma depuis près d'un demi-siècle et dont il suffirait de décongeler le catalogue pour rallumer l'ancienne gloire. C'est exactement ce que les nouveaux administrateurs de Lip sont en train de tenter. Il y a trois ans, le propriétaire a mandaté un spécialiste du private label (plus quelques marques maison) de Besançon (Société des Montres Bisontines, SMB) qui reprend la commercialisation sous licence. Lip est rapidement reconnectée à la distribution horlogère, après des décennies de confinement dans la grande distribution. Signe du changement, Lip revient aussi à Baselworld, pour la troisième édition consécutive cette année. Les ventes décollent, avec un enthousiasme franc pour les modèles historiques classiques: Général de Gaulle, Churchill, Himalaya.

Le succès dépasse les premières projections. SMB force les investissements et nourrit des ambitions à large échelle. Les médias locaux reprennent le flambeau. Les développements sont suivis pas à pas. La sortie du modèle Sous-marinier, véritable hymne à la renaissance pour Lip, qui n'avait pas proposé de véritable nouveauté depuis plus de 40 ans. Depuis la débâcle de 1973, l'affaire Lip, qui résonne encore comme un ultime soubresaut post-68, avec grève, occupation de l'usine, etc. Jusqu'à l'éparpillement sauvage des stocks, qui précipita la sortie de Lip des réseaux horlogers traditionnels. La reconstruction est lancée, mais pour l'instant avec une limite très nette: Lip n'existe plus guère que dans le cœur des Français. Il reste maintenant à réussir l'expansion à l'international. Une étape qui se construit en ce moment sur deux axes: le design, en appui sur les modèles iconiques de Roger Tallon (ci-dessus) et François de Baschmakoff, et la montée en gamme, avec la relance d'un mouvement mécanique maison. 

Quand Philippe Bérard, dirigeant de l'entreprise SMB (Société des Montres Bisontines, à Besançon) reprend la licence commerciale des montres Lip, il y a trois ans, il ne sait pas très bien où il met les pieds. Sa société réalise un chiffre d'affaires de près de 30 millions d'euros, assemble plus d'un million de montres par an, emploie 125 collaborateurs, et fait un peu de tout: du private label pour la grande distribution ou les cadeaux d'affaires, de la sous-traitance et trois marques développées en interne, All-Black, Certus et Go, principalement du quartz.

La réintroduction de Lip dans la distribution horlogère traditionnelle produit un effet immédiat. Philippe Bérard: «Les ventes dessinent une courbe ascendante marquée. En 2017, après deux années complètes d'exploitation, le volume s'est établi à près de 35'000 pièces.» Pour l'entrepreneur, la progression reste toutefois limitée et il perçoit déjà le premier plafond: «L'atterrissage est sans doute proche de 40'000 ou 50'000 pièces par an.»

Car Lip demeure une attraction «très franco-française», inséparable des deux années de conflit (1973-1975) qui «ont marqué la mémoire des Français» mais sapé la marque, éjectée des réseaux de distribution par l'éparpillement sauvage des stocks lors du conflit social, au cri de: «On fabrique, on vend et on se paie».

Depuis trois ans, la distribution est revenue et les modèles historiques s'arrachent. A Paris, Lip est carrément un must dans les milieux hype, où l'on parle «lipster». Mais pour l'instant en dehors de l'Hexagone Lip est encore en végétation, un peu distribuée au Portugal, un peu en Belgique, un peu en Chine et au Japon – «beaucoup d'efforts pour des petits volumes», précise Philippe Bérard. Quelque 700 points de vente en tout, dont seulement deux en Suisse.

Une collection d’archétypes design à relancer

Les projets ne s'arrêtent toutefois pas là. Avec son fils, Pierre-Alain Bérard, 37 ans, chargé du développement produits, ils tiennent un objectif à court-moyen terme de «5 millions de chiffre d'affaires, atteignable cette année ou en 2019, principalement en France».

A plus long terme, la croissance se jouera à l'international, et là il faudra plus qu'une campagne de notoriété pour réveiller la clientèle. Philippe Bérard, 40 ans d'horlogerie, ne se berce pas d'illusions et reste prudemment optimiste: «Les voyants sont plus au vert qu'à l'orange, nous nous dirigeons plus vers une réussite qu'un échec.»

Ainsi il ne compte pas reculer et rachètera très vraisemblablement la marque dans deux ans, quand l'accord de licence avec le propriétaire actuel arrivera à terme, le 31 décembre 2020. «Nous avions choisi cette option un peu par prudence... au cas où la marque n'intéresserait plus qu'une clientèle du troisième âge.» Trois ans plus tard, la question ne se pose plus: «Nous avons dépassé le milieu du gué, nous avons investi dans les stocks, dans les développements, il n'est plus question de reculer.»

Direction l'international donc, avec une stratégie ciblée, comme l'indique l'entrepreneur: «Nos modèles traditionnels fonctionnent bien en France, mais à l'international, face à des marques comme Tissot, une percée paraît peu probable. En revanche, nous avons peut-être une fenêtre de tir avec nos modèles de designers.»

Car Lip possède un trésor, des montres de créateurs signées François de Baschmakoff, Michel Boyer, Jean Dinh Van, Isabelle Hebey, Marc Held, Michel Kinn, Rudolf Meyer et l'incontournable Roger Tallon, chef de fil du design en France, qui a dessiné l'inimitable Mach2000 pour Lip en 1975, reconnaissable entre toutes avec sa boîte écusson et ses trois poussoirs (en version chronographe) tricolores façon œil de langouste (en une de cette édition).

C'est d'ailleurs sur les créations de Roger Tallon que les Bérard, père et fils, comptent s'appuyer comme un levier vers l'international. «A nous de savoir faire grandir ces icônes.» Le qualificatif n'est pour une fois pas usurpé, et les passionnés ne doivent pas trop hésiter, ce modèle est déjà une rareté. Paradoxalement pas en raison de son succès, mais en raison du succès des lignes traditionnelles, qui accaparent les capacités de production – par ailleurs en cours de renforcement.

Le vrai lancement est en réalité encore à venir et c'est là que certains liens s'établissent avec la Suisse. Les premières répliques de la Mach2000 en version chronographe sont motorisées avec du quartz de Bâle-Campagne, Ronda (les versions trois aiguilles date sont équipées en ISA ou Miyota).

Le rêve d’un mouvement mécanique à soi

Mais le meilleur est encore dans le pipeline, avec la prochaine mise sur le marché d'une version mécanique. Avec l'ambition de faire revivre l'un des mouvements historiques de Lip, le R23, un classique trois aiguilles automatique Made in France. Le projet a été lancé il y a plus d'un an et demi. La sortie est prévue pour Baselworld 2019. Philippe Bérard reste encore sur la réserve, mais il souligne que «dans les milieux horlogers, c'est quelque chose d'attendu».

C'est aussi une prise de risque, qui tient sur le pari que Lip se prête à une montée en gamme maîtrisée. «Nous avons en face de nous une clientèle qui a eu une Lip dans le passé et qui a envie d'en racheter une, mais désire aussi avoir une montre avec un peu plus de valeur.» Le prix final d'une Mach2000 devrait ainsi se placer sur la trajectoire de certaines productions suisses et allemandes, entre 1000 et 1500 euros, contre 500 euros aujourd'hui pour une Mach2000 à quartz.

Le lien avec la Suisse se poursuit avec le fabricant du mouvement R23, la manufacture NovoParts. La production du mouvement se fera bien en France, à Saucey près de Besançon (32 collaborateurs), mais NovoParts possède aussi un site en Suisse, NovoWatch au Locle (5 collaborateurs). Une région que le créateur de NovoParts, Mustapha Lamrabet, connaît bien puisqu'il a été l'un des partenaires de Valérien Jaquet au lancement de Concepto Watch Factory, à La Chaux-de-Fonds.

Cela fait trois ans maintenant que Mustapha Lamrabet compte parmi les rares fabricants de mouvements mécaniques de volumes en France, avec, en catalogue, déjà deux références qui reprennent le gabarit des références ETA 6497 et 2824.

Le R23 développé pour Lip sera le troisième mouvement produit par la manufacture, sous contrat d'exclusivité pendant 10 ans. Tout le défi, selon le concepteur, était de conserver la génétique d'un mouvement des années 1960 (dimension – 23,9 mm, épaisseur, esthétique), tout en actualisant la technique, échappement, barillet, train de rouage. Les finitions sont prévues plutôt haut de gamme, pour un mouvement qui reste industriel, avec une prévision assez conséquente en termes de volumes, entre 30'000 et 40'000 mouvements par an à terme. |


 

N°28
Mai 2018

 
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SOMMAIRE | 28
France & baby-boom | Série limitée | Interview Aldo Magada, Vulcain | Anonimo | Rexhep Rexhepi | Heuer & Jo Siffert | Richard Mille | LIP | Interview Sylvain Dolla, Hamilton | Quartz | Acrotec | RC Tritec | Abécédaire Eric Giroud | Rockfeller | Baume | North Eagles | Angelo Bonati & Panerai…


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