IKEPOD | Relance

L’archétype design 90’s change de segment


La marque culte et martyre des années 1990 change de mains et s’engage sur une trajectoire en rupture totale avec tout ce qui a été tenté jusque-là: même design, mais cette fois les montres seront équipées de mouvements à quartz, elles seront assemblées en Asie et elles quitteront le luxe pour l’hyperabordable.

Stéphane Gachet

Cela fait quelques mois maintenant que les montres Ikepod refont parler d’elles. L’ouverture d’un site web. Quelques apparitions sur les blogs spécialisés. La marque mythique créée par le designer Marc Newson et l’homme d’affaires Olivier Ike au milieu des années 1990 est sur le point de connaître une énième relance. Entre malédiction de la momie et réveil du phénix, Christian-Louis Col, nouveau propriétaire, a sa propre référence: Replay, roman fantastique de Ken Grimwood, dont le protagoniste, Jeff Winston, meurt à 43 ans, revient à la vie 25 ans plus tôt et ne sortira jamais de cette boucle temporelle.

«J’ai toujours aimé Ikepod. J’ai 50 ans, j’ai perdu mon travail et comme je n’ai pas un caractère facile, je n’en ai pas retrouvé. L’indépendance s’est imposée comme une évidence et Ikepod était à vendre.» Logique. Pour Christian-Louis Col, tout est très logique. Naturel même. Et comme les grands voyageurs, il sait que seul le voyage compte: «Ikepod, c’est une aventure entrepreneuriale. J’assumerai que cela fonctionne ou non. Le plus important est de donner vie à ce projet.»

Crises de surcroissance à répétition

Une vraie rupture pour Christian-Louis Col, dont le parcours professionnel le rapprochait jusque-là quelque peu de Jeff Winston. Manager formé à Paris, il baigne dans l’industrie du luxe depuis des décennies. Il a goûté à tout: perles chez Golay Buchel, chaussures haut de gamme chez Charles Jourdan, cristal chez Lalique,montres chez Richemont. Il en a retiré une étrange leçon: être trop performant est un handicap. «A chaque fois que j’ai dépassé les 15% (de progression), je me suis fait virer.»

Avec Ikepod, le challenge est d’une tout autre nature. Pas seulement pour l’indépendance. La marque ne ressemble à rien. Ou plutôt elle ressemble à l’un de ces pittoresques fétiches de la fertilité: beaucoup l’ont vénéré, beaucoup sont venus y planter des clous, on lui a beaucoup sacrifié, mais sous ses pieds l’herbe n’a jamais poussé. Marque glorifiée par ses fans, martyrisée par les aléas techniques (boîtier impossible à ouvrir sans outils spécifiques, fiabilisation à vau-l’eau, complications horlogères anarchiques, etc.) et finalement ostracisée par un positionnement prix inadapté.

Surtout ne pas rompre la forme

Portée par un marché boulimique dans sa première décennie, Ikepod passera sa seconde décennie entre les offices de faillites et les cabinets de notaires. Mise sous perfusion, relancée, placée en coma artificiel. Le 24 avril 2017, Christian-Louis Col emmène la belle avec toute sa garde-robe: un lot de pièces détachées, un lot de montres finies, tout un stock de bracelets d’origine et la propriété intellectuelle de quelques designs originaux.

Christian-Louis Col commence par le boîtier et se concentre sur le «pod» – sorte de M&M géant qui a habillé toute une famille, Hemipod, Megapod, etc. – qu’il simplifie (la boîte était monocoque, elle aura un fond) et qu’il pare de nouveaux visages. Un travail confié au designer genevois Emmanuel Gueit.

Le prochain bal se donnera chez Kickstarter, en septembre. «Un passage obligé», selon Christian-Louis Col. Les premières livraisons sont prévues pour janvier ou février 2019.

Incontournable financement participatif

La partie la plus étonnante est ailleurs: le positionnement. Le tournant est radical. De haut de gamme, Ikepod devient une marque accessible. Au prix public, l’entrée à moins de 500 euros pour le modèle trois aiguilles, à moins de 600 euros pour le chronographe. Pour tenir sur ce segment, il a fallu aller à l’essentiel et trancher dans le vif. Ce sera un choc pour certains, mais les nouveaux modèles sont équipés de mouvements à quartz asiatiques. D’ailleurs, toute la production est réalisée en Asie, sans l’ombrelle du Swiss made (le siège d’Ikepod reste néanmoins en Suisse, Christian-Louis Col, lui, vit en France).

Il en est persuadé, «c’est là (entre 500 et 1000 euros) que se trouve le marché aujourd’hui». Il voit ainsi comme «une bénédiction» la décision de Richemont de lancer la marque Baume (Watch Around 28) sur ce segment et en mode Made in Asia: «Ils ouvrent la voie!» Le pari demeure néanmoins colossal et les interrogations tout autant: «Est-ce qu’on peut avoir plusieurs vies? Est-ce qu’un label de luxe peut être relancé sur des prix aussi catégoriquement inférieurs?»

Pour le nouveau mentor, c’est le test ultime: «Je veux rendre la marque accessible et je veux rompre avec son histoire.» De cette étape initiale dépendront les développements futurs. Et à ce stade rien n’est éliminé. Des versions mécaniques ne sont pas exclues, mais cela ne se fera pas sans une vraie raison de le faire. Etre novateur dans ce domaine est visiblement un point sensible pour le nouveau propriétaire, qui ne peut pas se résoudre à une solution industrielle standard. Un partenariat a été esquissé dans ce sens, des prototypes ont été réalisés, mais rien n’a abouti à ce jour. Partie (sans doute) remise.

L’instinct de l’ancien Swatch hunter

L’objectif de ce premier round de financement participatif n’est pas déterminé, mais un score sous les 300'000 euros serait vécu comme un échec. Et du succès de l’opération dépendra la suite: peut-être d’autres séances de Kickstarter, peut-être l’ouverture vers la distribution traditionnelle.

Peut-être tout autre chose, une autre distribution pour une autre clientèle. Qui sait. La seule chose que Christian-Louis Col tient pour certaine est que la marque n’a jamais été là où elle devait être: «Des produits de design, pas d’horlogerie!» Le simple fait d’essayer est déjà en soi une réussite et le simple fait d’y penser réveille la verve du jeune entrepreneur qu’il fut: «Je ne suis pas un collectionneur. Gamin, j’étais un Swatch hunter et j’en ai plus appris en revendant mes montres qu’en œuvrant par la suite dans de grands groupes. Il y a des quêtes intéressantes… Le cadeau, c’est d’avoir pu racheter Ikepod!». |


 

N°29
Juin 2018

 
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SOMMAIRE | 29
Richard Daners † | Swiss made en location | Série limitée II | Saga 2824 | Svend Andersen | Rolex Daytona | Musée Beyer Zurich | Interview Christoph Grainger-Herr, IWC | Ikepod | Made in France | Maurice de Mauriac | Florian Schlumpf | Dubois-Dépraz | Bovet 1822…