NOMOS | Glashütte - Berlin

Le minimalisme florissant de la plus indépendante des marques allemandes


L’une des marques phares du petit village de Glashütte a réussi tout ce dont rêvent beaucoup de fabricants en Suisse. Une manufacture mouvements complètement intégrée mais sans faire exploser ni les coûts ni les prix. Une histoire bien établie mais encore inconnue à l’international. Un positionnement unique idéalement aligné avec les données actuelles du marché, sans ostentation, avec un style bien à elle, classique mais hors du mainstream. Et un franc-parler qui vaut tous les messages publicitaires.

Stéphane Gachet

Dans quelques jours l'église catholique de Glashütte sera officiellement sécularisée et le propriétaire et créateur de Nomos, Roland Schwertner, la convertira comme bon lui semble. Une pièce de plus dans son parc immobilier, qui compte déjà la gare et la «Chronometrie», un bâtiment historiquement dédié à la chronométrie de marine.

Il y a quelques semaines, Roland Schwertner et la direction de Nomos, Uwe Ahrendt (CEO) et Judith Borowski(COO), se sont mis à dos la famille Wempe, premier détaillant en Allemagne, après s'être associés aux plateformes en ligne Chrono24 et Chronext.

En septembre dernier, Nomos faisait les grands titres de la presse allemande après une prise de position contre le parti d'extrême droite AfD (Alternative für Deutschland). Très remarqué à Glashütte, cœur de la «Suisse saxonne», sorte de minivallée de Joux (1700 habitants et presque autant de postes de travail dans l'horlogerie), politiquement très marquée à droite.

En novembre dernier, Uwe Ahrendt montait sur la scène du Grand Prix d'horlogerie de Genève, primé dans la catégorie Challenge. C'était la première fois que Nomos concourait.

Mais ce ne sont que des accidents de parcours. Le credo chez Nomos est plutôt l'understatement: ici on ne pratique pas l'ostentation, on ne fait pas de montres de luxe, on recherche juste «une élégance simple et discrète», Uwe Ahrendt dixit. Les montres Nomos sont faites pour «ceux qui ne passent pas tout leur temps à regarder leur montre».

Et tout se passe ici comme si tout avait toujours été ainsi. «Nous faisons toujours la même chose, en améliorant la qualité. Un peu comme Rolex!» La petite Rolex du nord... tenir le parallèle est tentant: Nomos est elle aussi une marque totalement indépendante, avec un vrai propriétaire, comme du vivant de Hans Wilsdorf. Nomos travaille sur un catalogue très concentré, avec seulement quelques familles de produits, surtout des dérivés de la montre star, la Tangente, première création et toujours best-seller avec près de 40% des ventes. Nomos n'a jamais cédé à la moindre tendance: depuis sa création en 1990 et jusqu'au milieu des années 2000, la marque n'avait qu'un seul modèle en une seule taille, 35 millimètres.

Nomos défend surtout mordicus son indépendance et investit pour la maintenir: 11,4 millions d'euros ont été dépensés pour le développement d'un assortiment maison complet, y compris un spiral spécifiquement produit en Allemagne. Au final, le système Swing, présenté en 2014.

Et comme dans les grandes fabriques, chaque famille de produits a son propre calibre, 13 au total, tous 100% manufacture et 100% Made in Germany.

Rien de très extravagant pour Glashütte, dont les racines horlogères plongent dans l'histoire du plus prestigieux voisin de Nomos: A. Lange & Söhne. C'est en 1845 que le village prend le tournant de l'horlogerie fine. A la demande du roi de Saxe, Ferdinand Adolph Lange y est envoyé pour y ouvrir une manufacture et former la main-d'œuvre locale afin de sortir Glashütte du travail de l'argent qui a fait sa renommée jusqu'à l'épuisement d'une mine à ciel ouvert. Le métier s'est développé au-delà des prévisions. A la formation du bloc de l'Est, la raison politique a pétrifié le business. Mais à la chute du mur tout est reparti et le village est devenu très suisse. A. Lange & Söhne a été relancée par Günter Blümlein (Watch Around N° 31) avant de passer dans les mains de Richemont. Swatch Group a repris Union et Glashütte Original.

Nomos fait bande à part: la marque a été construite de toutes pièces par Roland Schwertner, photographe de métier, qui a tracé les lignes d'une stratégie que la maison suit comme des rails depuis la création en 1990: un rapport qualité-prix serré et constant (entre 1000 et 5000 francs pour des montres de manufacture avec petites complications, réserve de marche, grande date), un design typé et un cadre esthétique strict que l'on pourrait résumer en deux adjectifs: sobre et élancé (pour ne pas dire plat).

Le tout patiné d'un arrière-goût de culture Bauhaus – moins dans l'esthétique même que dans le soin des détails et la volonté de coller à la fonction élémentaire de la montre, la lecture des indications du temps. Un héritage qui se retrouve jusque dans la séparation des fonctions: la technique horlogère à Glashütte, le design à Berlin, dans une entité dédiée à la création et à la communication, Berlinerblau (40 collaborateurs à Berlin, 300 en tout, soit deux fois plus qu'il y a 10 ans).

Les deux entités avancent au même rythme et regardent loin, comme une paire de jumelles. Et comme une paire de jumelles, Judith Borowski et Uwe Ahrendt guident Nomos vers son nouveau port d'attache: l'international. Avec détermination mais sans précipitation, dans le calme, comme toujours. A Berlin, Thomas Höhnel, chef designer, peaufine les détails d'un cadran, recalibre une fonte de caractère dont la lisibilité devrait être légendaire. A Glashütte, bâtiment Chronometrie, Henrik Stock appaire spiraux et balanciers, un à un, à la main, à l'aide d'outils de sa fabrication. Dans la petite cantine, deux étages en dessous, Uwe Ahrendt prend le temps d'un café. Il est en tenue de ville, il ne fait que passer, il s'occupe de son fils malade aujourd'hui.

La petite maison paisible cache bien son jeu: Nomos a discrètement pulvérisé toutes les performances de croissance enregistrées dans l'industrie horlogère, Suisse comprise, ces dernières années: ventes en hausse de 65% entre 2014 et 2018. Depuis les affaires sont beaucoup plus calmes, mais la prochaine étape d'expansion se profile déjà, en direction de l'international.

Maison privée oblige, les chiffres ne sont pas le fort de la direction, sinon que Nomos «est la première marque en Allemagne» et que le marché intérieur représente «près de 70% des ventes». On apprend encore que la maison réalise «trois fois plus de volume que son premier concurrent à Glashütte». Recoupements faits, le volume de production est estimé entre 50'000 et 60'000 montres par an.

Il est temps maintenant pour Nomos de sortir de son marché intérieur et de percer dans le grand monde. La manufacture est parée pour ce défi. Tout est en place pour la montée en puissance, outil de production, technique, produits et communications.

Et surtout un USP mitonné depuis près de 30 ans. Sur une ligne franche et sans concurrence frontale. Commençons par les prix: imbattable sur le terrain des montres équipées de mouvements manufacture. A l'image de la dernière ligne sportive Ahoi: 42 millimètres, étanche à 200 mètres, petite seconde, grande date, calibre DUW 5101, bracelet tissé de Saint-Etienne (France), pour moins de 4000 francs.

Le design: tout en cohérence, depuis les origines de la marque. Très typé nordique et très reconnaissable à sa sobriété, à ses formes simples et pures, à ses cadrans ouverts d’un minimalisme très sophistiqué, à ses aiguilles droites, à ses boîtiers fins et de taille mesurée. Comme si rien ne débordait de la fonction première de la montre. La fantaisie n'est permise que dans les couleurs et les séries limitées, qui se résument parfois à un seul signe typographique ou à un point rouge là où il n'y a normalement rien. Et ne demandez pas à Uwe Ahrendt s'il n'a jamais eu envie de faire quelque chose de différent: «Il faut parfois avoir le courage de ne rien changer.»

La technique: 100% manufacture, jusqu'à l'assortiment. Des mouvements entièrement développés à l'interne et construits sur des architectures stables et éprouvées, comme la fameuse platine trois quarts introduite dans la région par Ferdinand-Adolph Lange. La philosophie de la maison n'est pas de réinventer la roue, mais de maîtriser les processus pour contrôler et améliorer en permanence la qualité. Tout en contenant les coûts de développement et de production. Un seul exemple: l'assortiment Swing maison revient à peine plus cher qu'un équivalent Nivarox (Swatch Group). Du suisse à l'ancienne en quelque sorte. L'inventivité n'est pas écartée pour autant. A l'instar du mécanisme de la grande date du calibre DUW 5101: un ingénieux système à deux roues superposées qui actionnent une came et un triangle de Reuleaux pour un changement de date instantané, doublé d'un débrayage de la fonction par la couronne pour empêcher toute manipulationmalheureuse.

Le story telling: un métissage unique de grande et de petite histoire, de culture Bauhaus à la berlinoise et de bienfacture façon Glashütte. Un glacis d'authenticité qui imprègne toute la maison et tous les produits, jusqu'à l'histoire familiale du CEO, Uwe Ahrendt, authentique Glashütter depuis des générations. Une appellation que les montres Nomos n'usurpent pas non plus: tout est fait sur place à l'exception de l'habillage, boîtes, cadran, aiguilles.

La communication: le propriétaire, Roland Schwertner, manie le paradoxe de la discrétion et d'une rhétorique militante, la touche witzig en plus, cet humour pincé si typiquement allemand. Un esprit qu'il a de toute évidence insufflé à toute son équipe. Un seul slogan pour s'en convaincre, celui de la ligne Aqua: «Life is a beach.» Car ici tout est investi dans le produit, mauvaise nouvelle pour les stars de cinéma.

L'esprit d'entreprise enfin coiffe l'ensemble d'une indéniable aura d'authenticité. Tout dans l'indépendance et dans la nuance: pas de grande stratégie, pas de grandiloquence, pas de PowerPoint aux courbes généreuses. Mais une certitude: «La croissance se joue maintenant à l'international.» La prochaine page de l'histoire devrait s'écrire aux Etats-Unis, la priorité actuelle. Et si Uwe Ahrendt évite pour l'instant de parler de Wempe, son œil s'éclaire lorsqu'il pense à Tourneau, aujourd'hui filiale américaine de Bucherer, le dernier grand partenaire de Nomos. |


 

N°34
Décembre 2018

 
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SOMMAIRE | 34
Lettre à Nick Hayek | Pierre-Yves Donzé : France vs Suisse | Olivier Gamiette | Nomos | Fonds ouverts | Paul Gerber | Dubois & Fils | Citychamp | Breguet | Amrein | Sandro Frattini | Roventa Henex | Interview Vartan Sirmakes, Franck Muller…


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