DESIGN | Olivier Gamiette

L’artiste parisien qui repousse les lignes de la montre concept


Il travaille le jour pour l’automobile et dessine pour lui la nuit. Des montres. Que des montres. Des centaines de montres qui redéfinissent toutes à leur manière les codes de la lecture de l’heure.

Etienne Marchand

«Une tête d’ingénieur et des mains d’artiste»: autoportrait d’un designer autodidacte passionné et boulimique. Il est au milieu de la quarantaine et vit à Paris. Le jour il dessine des voitures pour Peugeot. La nuit il invente et dessine des montres. Il y a trois ans il a publié à compte d’auteur un recueil de 35 concepts horlogers complètement inédits, comme une soupape indispensable pour ce créatif hyperdoué. Depuis, l’idée a fait son chemin dans son esprit de voir un jour l’un de ses concepts devenir une vraie montre. 

Sa passion pour l’horlogerie est une chose assez nouvelle. Il n’est pas né dans un bassin horloger. Longtemps il ne s’intéressait même pas aux montres. Tout commence en 2012: il travaille sur le projet du concept car Peugeot Onyx et propose de dessiner une montre pour accompagner la sortie de l’impressionnante GT. «Géométrie, mathématiques, matériaux, style, design… En termes de création, je ne soupçonnais pas une telle proximité entre ces deux mondes. Totalement néophyte à l’époque, je ne connaissais rien à la montre et encore moins les marques comme MB&F, Urwerk, RJ... Ce qui, du reste, m’a permis d’inventer mon propre vocabulaire formel sans appréhension, sans influence extérieure. Je venais de découvrir un univers abyssal créativement très riche pour moi.» Cet univers s’est peu à peu ramifié et, de boîtes en aiguilles, il est arrivé à la publication de son recueil, Soon Timepiece Phenomena, en 2015. 

L’ouvrage poursuit plusieurs objectifs. Sa première vocation est d’être un espace où l’imaginaire est libre sans les contraintes techniques et marketing d’un projet à produire. «Les codes horlogers traditionnels sont chahutés sans retenue et le spectre thématique est très large. Tantôt futuristes, tantôt classiques, souvent décalées, les montres se dévoilent à travers des illustrations très léchées.» Le livre a aussi une visée didactique: «Je tenais à montrer les étapes de mon processus créatif très singulier pour la représentation d’objets horlogers, dévoiler ma technique d’illustration automobile transposée à l’horlogerie, partager ma vision et mon expérience.» Il y ajoutera même un tutoriel sur la colorisation. 

Puis, livre sous le bras, il se rend au salon de Bâle et rencontre du monde. A chaque fois c’est la même réaction: le livre électrise. «Beaucoup de gens m’ont dit qu’il était difficile d’innover dans la montre, mais après avoir vu mes travaux, ils changeaient d’idée.» Sur le thème: «Je vois qu’il y a encore plein de pistes à explorer…» L’enthousiasme d’Olivier Gamiette est encore retendu d’un cran, et les échos qu’il a de la part des industriels montrent que sa créativité déroute au point que ces derniers veulent souvent savoir si ses dessins sont protégés… Il construit peu à peu son image du secteur, qu’il relate ainsi: «J’ai noté la différence d’approche entre les grandes marques et les marques indépendantes. Les premières cultivent leur identité, leurs gènes et peuvent ne pas se reconnaître de prime abord à travers des conceptions originales telles que je les propose, quand les indépendants sont le plus souvent gérés par des créateurs qui expriment par eux-mêmes leurs rêves, mon travail pourrait alors satisfaire un souhait de créer des one-offs de type Opus deHarry Winston.»

Qu’importe, sa jeune passion est intacte et même s’il est conscient «qu’il faut faire preuve de patience pour que les rencontres se fassent et que les choses les plus folles se réalisent», il continue de cultiver son jardin en marge de son activité professionnelle dans l’automobile. A ce jour, il a réuni plus de 200 concepts de montres, qu’il garde pour l’instant pour lui avant de trouver la bonne formule pour les diffuser. Il sait que le chemin ne sera pas une ligne droite et conclut momentanément par cette litote: «Mes expériences avec l’industrie horlogère ont été pour le moment un peu surprenantes.»

«Comme possédé», il conserve néanmoins cette envie simple d’être impliqué dans le processus complet: «Ma vraie motivation dépasse le produit fini en tant que tel, c’est le cheminement, le développement, la collaboration avec une équipe, le désir d’aboutir à un design honnête et charismatique, la volonté de respecter le design initial jusqu’à la fin, l’effort de surmonter les contraintes, de relever ensemble des défis techniques, budgétaires, de temps, jusqu’à la réalisation qui m’animent.» Des données essentielles qu’il connaît bien, cela fait 20 ans qu’il les manipule au sein d’un centre de design automobile. 

D’ailleurs, ses créations horlogères, aussi spectaculaires soient-elles, se veulent «crédibles et réalistes». Il les dessine le plus souvent à l’échelle 1:1 et sa double casquette d’ingénieur-designer lui permet d’intégrer dès les premiers coups de crayon certaines données techniques et mécaniques liées à l’encombrement d’un mouvement par exemple, de considérer la manière d’embarquer une fonction, d’assurer la lisibilité et l’ergonomie de la proposition. «J’apprécie de travailler des thèmes audacieux mais toujours explicites car même si j’aime l’idée de générer de la magie et de l’émerveillement à travers ce que je fais, je cherche avant tout à donner du sens aux concepts que j’explore, comme si le projet était voué à être produit, ce n’est pas de la simple littérature.»

La puissance de frappe apparaît assez colossale, comme un gros V8 entièrement dédié à la créativité. A un moment où l’industrie horlogère cherche son nouveau souffle dans la création et dans sa capacité à étonner son public, cela ne devrait pas laisser indifférent. Avis aux mécènes. |


 

N°34
Décembre 2018

 
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SOMMAIRE | 34
Lettre à Nick Hayek | Pierre-Yves Donzé : France vs Suisse | Olivier Gamiette | Nomos | Fonds ouverts | Paul Gerber | Dubois & Fils | Citychamp | Breguet | Amrein | Sandro Frattini | Roventa Henex | Interview Vartan Sirmakes, Franck Muller…