CODE 41 | La raison commerciale derrière la provocation

Les nouvelles vertus du Swiss worlwide made

La start-up lausannoise passe pour un agent provocateur en lutte contre les abus du label suisse et un as du crowdfunding. Le modèle d’affaires repose sur un principe nettement plus trivial: le bon rapport qualité-prix et la vente en direct.

Stéphane Gachet

Claudio D’Amore et toute l’équipe derrière la marque Code 41 (basée à Lausanne) viennent de passer une étape décisive avec leur dernière création. La montre X41 était un test. Le test de la montée en gamme, avec un prix en précommande un peu supérieur à 4000 francs – futur prix public 5500 francs. Le test du contenu horloger avec un mouvement automatique développé spécialement par le motoriste Timeless (Courfaivre, Jura), avec masse oscillante périphérique, grande date et architecture ouverte. Un grand écart pour la jeune marque, dont le cœur de réputation est sous la barre des 1000 francs pour des produits simples, trois aiguilles automatiques.

En lançant l’opération X41 en mars dernier, Claudio D’Amore, designer et entrepreneur, jouait son va-tout, l’ultime quitte ou double d’un modèle d’affaires basé sur une dynamique singulière: la capacité à briser les tabous, à casser les codes. Claudio D’Amore ne le traduirait pas ainsi. Pour lui, il fait simplement de l’horlogerie, de la belle horlogerie, traditionnelle, mécanique, de qualité, avec la touche de design contemporain qu’il voulait apporter.

En un mois de campagne, X41 a rassemblé près de 750 commandes pour un montant global qui dépasse les trois millions de francs. Sur cette somme, près de 800'000 francs reviennent à la marque et c’est sur ce coussin léger que l’équipe doit vivre et construire la suite. C’est tout le pari de l’entreprise, qui n’a que ses montres pour faire parler d’elle et s’établir sur le long terme. Un rendez-vous manqué et c’est la fin.

Dans le sérail horloger, Code 41 a plutôt mauvaise réputation. Claudio D’Amore a l’image controversée de l’agent provocateur, de l’anarchiste qui a posé une bombe au pied du label Swiss made pour faire un coup marketing. Il assume à moitié: s’il a bien lancé sa marque sur le mode de la provocation, le message reposait sur une réalité, celle d’un label suisse aux contours trop flous pour être complètement honnête. Il revendique même une position éthique, celle de la transparence. Ses montres ont des boîtes, des cadrans et des aiguilles made in China, des mouvements japonais ou suisses. Peu importe, au final la seule question que se pose Claudio D’Amore est celle du meilleur rapport qualité-prix: «Faut-il assembler les montres en Suisse pour obtenir le label Swiss made? Où est la valeur ajoutée? Il faut expliquer les choses telles qu’elles sont. La qualité n’est pas liée à un pays. Le but n’est pas d’être Swiss made ou pas, mais de travailler avec le bon fournisseur pour le bon produit.»

Nous ne sommes en fait qu’à une nuance de ce que l’industrie pratique déjà depuis longtemps. Une sorte d’éthique de la catharsis, de différenciation par retour du refoulé: simplement dire ce que les autres ne disent pas. La question se pose alors: si tout le monde faisait comme Claudio D’Amore, que resterait-il de Code 41? Il resterait certainement un design, car au-delà de tous les discours, ici, on dessine des montres dans une vision la plus horlogère possible. C’est le métier de base de Claudio D’Amore, qui a pratiqué pour de nombreuses marques, c’est le point de départ de toute l’entreprise et c’est sans doute ce que la clientèle retient en premier – au-delà du Swiss made, dont le débat est complètement dépassionné en dehors des frontières nationales.

La question de l’origine demeure néanmoins. Le nom même, Code 41, est emprunté à l’indicatif de la Suisse. La marque est basée en Suisse. Claudio D’Amore a étudié le design en Suisse, à Lausanne, et il a commencé sa carrière en dessinant des montres pour des marques basées en Suisse. Donc, même si le label Swiss made a sa part d’opacité, il doit bien y avoir une particularité suisse. Claudio D’Amore le reconnaît lui-même: «Les Suisses sont des maîtres d’œuvre qui savent comment orchestrer les intervenants pour créer de la valeur ajoutée.» En d’autres termes, ce n’est pas le «où», mais le «comment» qui compte au final. «Le où est une affaire de cahier des charges. En Chine, certains fournisseurs travaillent pour la Suisse depuis plus de 50 ans et ils utilisent les mêmes tournevis Bergeon que dans le Jura.»

Il y a donc bien un héritage à l’origine de Code 41, tout un tissu d’intervenants comprenant des intermédiaires en Suisse et des sous-traitants en Chine. «C’est une pratique parfaitement rodée.» Le risque demeure néanmoins d’être refusé à l’entrée pour des question de timing ou de quantité minimum. Claudio D’Amore n’opère donc pas en direct, mais à travers des maîtres d’œuvre suisses, indispensables à son niveau d’affaires: son best-seller, le modèle Anomaly standard, représente près de 10'000 unités par an – grosso modo, le volume vendu à ce jour – une cacahuète pour un sous-traitant chinois. Et il n’y a jamais d’acquis, chaque projet a son propre cahier des charges, chaque composant est soupesé et exige son fournisseur ad hoc, en Chine ou ailleurs. Le mouvement personnalisé de la X41, par exemple, est classiquement suisse parce que sur ce genre de produit le meilleur rapport qualité-prix est local.

D’ailleurs, insiste l’entrepreneur, la valeur créée par Code 41 reste en Suisse: «Ici, nous avons 10 collaborateurs et nous engageons. Pour faire tout ce que nous avons à faire, nous devrions être 20. Mais si nous avions fait des montres Swiss made, nous aurions été trop chers et nous n’aurions jamais rien vendu.»

Code 41 est aussi un cas d’école de construction communautaire. La première opération est lancée en décembre 2016 sur Kickstarter: passage réussi, 1000 montres vendues, 543’150 francs récoltés. Puis cette interrogation inévitable: comment continuer de vendre des montres après? Réponse: «Nous avons fait grandir la communauté.» Et ça marche, à force de communication sur la transparence et la nouvelle éthique suisse, les commandes atteignent bientôt le seuil des 500 à 700 pièces par mois. Le discours sur la qualité passe visiblement et pas seulement pour des raisons de positionnement prix, la X41 en est la preuve.

En 15 mois, la communauté franchit les 200'000 membres, dont un bon 10% sont catégorisés «très actifs». Une communauté principalement francophone – la communication a été principalement menée en français – très européenne et très suisse. Ce bassin de clientèle potentielle et autoproclamée est absolument central dans le modèle d’affaires, puisque toute la dynamique repose sur la fréquence des projets, idéalement aurythme d’un lancement par an. La communauté est alors non seulement un relais pour les précommandes et les ventes régulières, mais également un moyen de réduire le risque grâce à une étude de marché in vivo.

Le prochain projet, par exemple, est né de la communauté: une montre pour femmes. Les grandes options sont en consultation en ce moment, quartz ou mécanique, nouveau design ou articulation du modèle Anomaly, etc.

Cela peut paraître rassurant. Au quotidien, la tension reste permanente. Claudio D’Amore explique qu’il n’y a pas de place pour l’échec puisque chaque projet doit financer le suivant. Depuis 2016, il affiche un parcours sans faute, avec l’avantage de ressortir de chaque projet avec un catalogue plus étoffé – trois références et leurs variations à ce jour – constituant la base indispensable à la pérennisation.

La marque construit ainsi sa réputation, bien dans l’air du temps, avec déjà un beau rayonnement, même s’il reste encore beaucoup à faire. A preuve, depuis le début de l’année, depuis qu’Audemars Piguet a sorti sa nouvelle ligne Code 11.59, quelques messages arrivent, pensant que le suiveur… c’est Code 41. |


 

N°38
Mai-Juin 2019

 
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SOMMAIRE | 38
Lettre à Georges Kern, Breitling | Seiko & Citizen | Statut horloger & libéralisation | Swiss made : 100% sinon rien | Daniel Hug, Longines | Artya | Marion Müller | Petermann Bédat | Patek Philippe : Alarm Travel Time Grand Complication | Interview Frédéric Grangier, Chanel | François-Paul Journe : tourbillon vertical | Chronopassion | Marc Jenni | 10 heures 10 | Code 41…