PORSCHE DESIGN | Technique d’assemblage

Toutes ces subtilités venues de la logique automobile


Visite au centre de production de Soleure. Histoire de comprendre vraiment les liens que les ingénieurs automobiles ont tissés avec l’horlogerie. Il ne s’agit pas de révolution, mais de l’institutionnalisation d’une best practice dictée par la logistique.

Henri Nidegger

Question: une voiture de sport a-t-elle beaucoup de points communs avec une montre? Dans le cas des montres Porsche Design, la réponse est: beaucoup. La voiture et la montre obéissent aux mêmes processus de production, de la première séance pour un nouveau produit planifié au contrôle de la qualité. La procédure, la réglementation et les flux de pièces détachées sont, pour ainsi dire, identiques.

Depuis 2014, la marque Porsche Design Timepieces construit ses propres montres à Soleure, Biberiststrasse 18. Une vingtaine d'employés travaillent en interne, et l'analogie avec la construction de véhicules est assez bluffante. En d’autres termes, si vous voulez comprendre exactement ce qui se fait à Soleure, il faudracommencer par jeter un coup d'œil à l'usine Porsche de Zuffenhausen. Parce que la philosophie qui prévaut en Allemagne est, pour ainsi dire, aussi une loi fondamentale à Soleure.

A Zuffenhausen, les mots clés sont «production séquentielle», ce qui signifie que les voitures sont fabriquées dans un ordre prédéterminé, dans l’ordre exact d’arrivée des commandes passées par les clients. Ce ne sont donc pas tous les véhicules rouges avec sièges bleus et conduite à gauche qui sont construits en premier, puis les véhicules verts et conduite à droite. Les modèles sont au contraire complètement mélangés dans leur ordre d’apparition sur la chaîne de montage. Des chariots commandés par robots vont chercher les composants nécessaires dans l'ordre d’assemblage, dans un entrepôt de pièces détachées que l’on surnomme ici le supermarché, et qui est bien sûr approvisionné par les fournisseurs just in time.

A Soleure, le stock de composants de Porsche Design Timepieces est aussi appelé supermarché, mais il n’y a pas de robot, c’est un horloger qui rassemble ses kits de pièces détachées, montre par montre. Et ici aussi la production est séquentielle selon l’ordre des commandes – parfois une Globetimer UTC, puis peut-être une montre 911 Turbo S Exclusive Series, suivie d’un modèle 911 Speedster.

Cela signifie encore que l'horloger ne travaille pas sur plusieurs montres en même temps. Au lieu de les assembler sur la chaîne de montage, il les assemble pièce par pièce dans sa «flowbox» après avoir récupéré les pièces nécessaires au «supermarché», en regroupant par exemple toutes les pièces constituant un cadran – ils sont disponibles pour la série 911 Turbo S Exclusive dans les couleurs exactes de chaque voiture. Dans la même idée, les rotors des montres automatiques peuvent être harmonisés avec les jantes, selon les souhaits du client – de nombreuses autres pièces présentent des variétés d’options. Les concepteurs de Porsche Design Timepieces appellent la nomenclature A4 de trois pages qui accompagne chaque montre une «recette», reprenant le vocable utilisé par les ingénieurs de Zuffenhausen.

Le choix stratégique de Soleure

Bref retour en arrière. Les montres Porsche Design n’ont pas toujours été réalisées en interne, elles ont été longtemps produites par IWC à Schaffhouse, puis par Eterna à Granges. Lorsque Porsche Design a pris ses distances avec Eterna, il était clair qu’il s’agissait de prendre le contrôle de la production à l'avenir et de le faire en Suisse. «Le label Made in Switzerland était un must pour nous», souligne Rolf Bergmann, directeur général de Porsche Design Timepieces. Le choix de Soleure était stratégique. La situation du trafic, la disponibilité de la main-d’œuvre qualifiée et la proximité des fournisseurs dans l'arc jurassien ont été des facteurs décisifs. L'industrie automobile a là également servi de courroie de transmission, car chaque projet implique une coopération étroite avec les fournisseurs, dès le développement, pas seulement au moment de s’approvisionner en composants.

Ce n'est pas toujours facile. Pour la nouvelle montre Globetimer UTC, par exemple, Porsche Design Timepieces s'appuie sur le calibre de base Sellita SW 200 complété d’un module spécialement développé. Comme l'exige Porsche, pour les clés de voiture par exemple, la pièce doit pouvoir tomber d'une hauteur d'un mètre sans être endommagée et doit passer les tests correspondants. La mise en œuvre technique s'est avérée très laborieuse au début – le fabricant de modules soutenait que ces tests au choc n’étaient pas envisageables. «Mais nous sommes intransigeants sur ce point», a répondu Rolf Bergmann.

En fait, les premiers prototypes n'ont pas résisté aux tests. Il a fallu les réviser, renforcer les modules, installer des ponts plus stables et utiliser davantage de vis.

Lorsque de tels défis se présentent, la marque rassemble tout le monde, comme elle le fait lorsqu'elle démarre un nouveau projet: fournisseurs, designers, constructeurs, contrôleurs. Et souvent quelques collègues du département de construction de véhicules de la maison mère sont également invités à intervenir. Pour les poussoirs à bascule de l'actionneur monobloc du nouveau chronographe, par exemple, les «conseils décisifs», Rolf Bergmann dixit, sont venus du département construction de moteurs de la division sport automobile. L’expertise des ingénieurs en matière de roulements à billes, de cames et de commande de soupapes ont été une aide précieuse (Watch Around No 25).

Cahier des charges intégral

Le fait que les gens de la technique, de l'assemblage, du marketing et de la finance soient proches les uns des autres et mêlent leurs influences dès le début est lié à la manière de gérer le processus de développement. Chez Porsche, ce terme est abrégé par l’acronyme PEP (Produkt-Entstehungsprozess, soit processus de développement de produits). Il s'agit de formuler un cahier des charges qui, dès le départ, régit toutes les étapes futures de manière définitive et approfondie. Il y a un agenda comportant neuf étapes, aussi nommées «quality gates», le prix final du produit est déterminé, un concept de vidéos publicitaires est élaboré, des variantes du produit sont déterminées, etc. Tout se passe en parallèle et simultanément, «simultaneous engineering» selon le terme anglais consacré. Cette approche vise à raccourcir le temps de développement d'un nouveau produit, à éviter des corrections coûteuses au moment de la production et, en général, à améliorer la coordination du développement et de la production.

L'ensemble de la procédure PEP dure 36 mois pour les montres Porsche Design. Rolf Bergmann explique: «Au début, les responsables de processus de l'industrie automobile ont été d'un grand soutien.» C'est pourquoi, comme à Zuffenhausen, il n'y a normalement pas de contrôle d'entrée pour les composants provenant des fournisseurs du supermarché. Ce serait un effort superflu puisque le contrôle a été délégué aux fournisseurs. Cependant, tous les détails ont été clairement réglés au préalable, le fournisseur dispose de toutes les informations et exigences nécessaires et les ingénieurs qualité sont régulièrement sur place – rien n’est laissé au hasard.

«Espérer est un mauvais principe», conclut Rolf Bergmann. Une assertion qui sonne comme un résumé de toute la méthode de production en vigueur à Soleure. |


 

N°41
Sept.-Oct. 2019

 
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SOMMAIRE | 41
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