ROLEX | L’innovation industrielle exemplaire

Quand Rolex parfait ses reflets


Il a fallu près de quatre ans pour comprendre et modéliser la manière dont une boîte de montre réfléchit la lumière. Une thématique beaucoup plus dense qu’il n’y paraît et qui a eu pour effet de transformer toute la chaîne de production industrielle. En partant des surfaces et non plus des arêtes.

Christian Kaufmann

Rolex innove. Jusque-là, ce n’est pas une franche surprise. Sauf que le terrain d’exercice est cette fois assez inattendu puisqu’il s’agit de lignes de lumière, de reflets. Un champ d’art et de maîtrise pour Rolex, qui a discrètement introduit une nouvelle procédure de production de ses boîtes il y a près de trois ans, d’abord sur les nouveaux modèles, puis sur l’ensemble des collections.

Le rétrofit est maintenant presque achevé et la direction a décidé de communiquer lors de la journée d’étude de la Société suisse de chronométrie, tenue le 13 septembre à Montreux. Emmanuel Henry, responsable du site de Plan-les-Ouates (pôle boîtes et bracelets du groupe), et Olivier Kuffer, responsable R&D montres-bracelets, y ont exposé par le détail les moyens mis en place et leurs effets sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

Dans la sémantique actuelle, cette innovation se situe en droite ligne de l’industrie 4.0, où il s’agit de renforcer le dialogue entre la CAO (conception assistée par ordinateur) et l’usinage. Les technologies numériques jouent donc un rôle éminemment central et ce n’est pas un hasard si Rolex ouvre la voie, car il faut plusieurs qualifications fondamentales pour tenir ce type de challenge.

La plus importante sans doute est cette capacité hors classe à intégrer l’innovation sans rupture, à actualiser les collections sans jamais disqualifier les modèles précédents. Une science de l’innovation millimétrique propre à Rolex, qui a déjà été appliquée à de nombreux composants de la montre: mouvements, couronnes, complications, cadrans, lunettes, bracelets, matériaux, etc. La boîte elle-même a profité de décennies d’évolutions aussi discrètes que substantielles depuis la révolution Oyster et son fond vissé à l’étanchéité légendaire (jalon historique de l’avènement de la montre de poignet), entre autres dans les matériaux avec la mise au point de l’acier Oystersteel et de l’or Everose.


»Il n’y a pas de ligne d’arrivée quand il s’agit de qualité.


Autre qualification essentielle: l’intégration totale de la manufacture. Car entreprendre la maîtrise des lignes de lumière sur les flancs d’une carrure exige un niveau de verticalisation sans faille, design, R&D, production. La présentation à deux voix est un témoignage en soi de l’état de l’art industriel chez Rolex.

La troisième qualification indispensable est ce réflexe d’entrepreneur de repenser les moindres détails en permanence et de les aligner sur les possibilités technologiques les plus avancées du moment.

Les orateurs reposent le point de départ: «Nous avons constaté que les reflets sur les pièces finales n’étaient pas exactement fidèles aux souhaits de nos designers.» Dit ainsi, le projet paraît simple. La mise en place a pourtant été d’une grande complexité puisque cela revient en réalité à repenser le cycle complet de la mise sur le marché d’un nouveau produit. Il faudra près de quatre ans pour comprendre l’étendue du sujet, en adresser toutes les subtilités et en dégager une méthodologie.

Les effets miroir sont maintenant intégrés dans toute la chaîne de production. Tout n’est pas encore achevé pour autant: «Il n’y a pas de ligne d’arrivée quand il s’agit de qualité.» La prochaine étape sera d’intégrer des paramètres encore plus subtils et comprendre l’impact inconscient des lignes de lumière d’une boîte de montre sur le porteur, comme un nouveau champ de «sensualité apportée au produit». Car il s’agit bien au final de traduire et de transmettre cette valeur perçue que l’on nomme émotion.

De l’indicible pur, comme en art. Et comme en art, tout part d’un geste. Toute la difficulté étant de l’appliquer à la logique industrielle, relier le monde du designer et la création d’un produit de série. Le designer travaille comme le sculpteur: il imagine et crée des surfaces, les arêtes ne sont qu’une résultante. Pour le concepteur horloger, c’était jusqu’à présent l’inverse: il réfléchissait en arêtes et les surfaces étaient déduites. La priorité est maintenant rétablie dans son ordre naturel, car au final «ce qui compte, c’est la surface».  |


 

N°31
Septembre 2018

 
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SOMMAIRE:
Citizen | Mythe Kickstarter | L’influenceur | Amrain | Interview Michel Loris-Mellikoff, Baselworld | Arrigoni-Laufer | Musée Forêt-Noire | Interview Elie Bernheim, Raymond Weil | Calendrier annuel | Rolex et les reflets | Günter Blümlein | Breitling | Sigatec | Interview Patrice Pruniaux, Ulysse Nardin…


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