TUDOR | Production «best in class» | Visite

Tout ce qui fait que Tudor est Tudor


Comment la marque genevoise assemble ses montres. Comment elle applique les principes best in class de l’industrie. Et comment le flux de travail est organisé jusqu’aux plus petits détails. Visite à Genève dans le saint des saints de la marque créée en 1926 par Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex.

 

Pierre André-Schmitt & Watch Around

L'ordre prévaut ici, l'ordre parfait – jusque dans les moindres détails et jusqu’au fond du dernier tiroir de chaque établi: les ciseaux sont disposés partout au même endroit, bloc de gauche, tiroir du milieu, les stylos sont dans le compartiment droit du tiroir supérieur droit, les blocs post-it, les surligneurs verts, les tournevis ou les pincettes, chaque chose a une place et chaque chose est à sa place. Et il y a une bonne raison explique le chef d’atelier: «Chacun doit savoir où se trouve ce dont il a besoin afin de le trouver rapidement et de pouvoir changer de poste de travail sans aucun problème.»

Nous sommes dans l’unité d’assemblage final de Tudor, la marque sœur de Rolex, et une évidence saute aux yeux: la propreté, l'efficacité, l’exigence, l'ordre et les processus de travail bien synchronisés sont ici la règle. Le chef d’atelier acquiesce: «Nous appliquons la même logique que Rolex.» Cela va tellement loin que les collaborateurs de Tudor peuvent passer sans difficulté d’un atelier à l’autre: si vous travaillez pour Tudor, vous pouvez facilement passer chez Rolex et l’inverse est aussi vrai.

Juste une petite aile dans le saint des saints: à Genève le grand bâtiment en verre de la rue François Dussaud couvrant les numéros 3 à 7 est un lieu mythique pour beaucoup d'amateurs d’horlogerie, car c’est là que se décide tout ce qui touche aux montres parmi les plus populaire et les plus désirées de toute l’industrie. C'est là que Rolex a son siège, Tudor également. L'administration de Tudor est située au 5e étage et les montres sont assemblées au 4e étage, où se trouvent également le département de recherche et développement et le contrôle qualité.

Direction le 4e étage. L’air est ici en légère surpression, de sorte qu'aucune particule de poussière ne pénètre dans la grande pièce de travail. Avant d’y entrer, le visiteur passe une blouse blanche antistatique et coiffe ses chaussures d’une housse en plastique bleu qui ne touchera le sol qu’une fois dans la zone d’environnement contrôlé, un banc marque la frontière. La salle d’assemblage est derrière, et c’est là que les cadrans et les aiguilles sont placés sur les mouvements, que les mouvements sont emboîtés et que le bracelet y est attaché avant de partir sur les marchés.

Au début du processus se trouve ce que l’on nomme ici la «gare d’étage», où officie l’équipe qui planifie la logistique, qui commande les composants et les dispose pour les unités d’assemblage. Les composants proviennent du grand stock automatique, un entrepôt haut comme une cathédrale de cinq étages, situé en sous-sol et partagé avec Rolex. Ils sont acheminés jusqu’au 4e niveau, passent une petite fenêtre à double battants et finissent leur route sur des rails et tapis de rouleaux. Tout est fait selon le principe Lean, en flux tendu: seuls les composants nécessaires à l’assemblage sont appelés et toutes les montres assemblées ont préalablement été commandées. 

Comme toutes les équipes de Tudor, les collaborateurs de la «gare» travaillent selon la méthode japonaise des 5S, développée en son temps chez Toyota. En japonais, chacun de ces cinq S a sa signification: Seiri (éliminer tout ce qui n’est pas indispensable), Seiton (organiser), Seiso (formaliser), Seiketsu (pérenniser) et Shitsuke (améliorer). Chez Tudor, ces principes ne sont pas seulement des mots, ils sont mis en pratique, appliqués avec discipline et constance.

Par exemple au sein des équipes de montage, 10 à 12 employés rassemblées en îlots de production, des cellules autonomes. Tous les membres de l’équipe sont formés de manière polyvalente, chacun devant être capable de réaliser l’ensemble des opérations. Chaque cellule s’organise de façon indépendante et désigne son responsable par tournus de deux semaines. Les horaires sont libres, la journée commence au plus tôt à 6 heures 30 et au plus tard à 9 heures. Tout le monde sait ce qu'il faut faire et connaît l'objectif quotidien ainsi que l'ensemble du déroulement du travail. Le papier est totalement banni, chaque poste est informatisé, toutes les instructions sont détaillées sur un écran dès que les composants sont scannés – il peut s'agir d’instruction de montage ou de croquis décrivant exactement les outils à utiliser et comment les organiser sur l’établi.

Le contrôle qualité est constant et fonctionne de manière gigogne, comme une poupée russe, chaque opérateur contrôlant aussi l’étape de montage précédente, jusqu’à «l’œil du client», le dernier regard de l’opérateur à la pose du bracelet avant le conditionnement et l’envoi sur les marchés. La tête de montre elle-même est testée une première fois sur place, avant de passer le contrôle technique complet, chronométrie, réserve de marche et étanchéité, sur une plateforme dédiée, la même que Rolex: les tests sont identiques, mais avec des standards différents.

Chaque procédure est examinée, formalisée, pensée dans ses moindres détails et améliorée en permanence. La pose des aiguilles automatique par exemple s’effectue sur trois montres en parallèle selon le principe SMED (Single minute exchange or die): il faut moins d’une minute pour changer le programme et passer sur une autre référence. L’ergonomie est centrale, optimisée elle aussi en permanence. Chaque opération est auscultée, geste par geste. Les couronnes sont vissées à l’aide d’une machine, des plateaux ont été réalisés spécifiquement pour certaines opérations, des supports pour les bras, des appuis pour les poignets ont été dessinés, un établi spécial pour la pose d’aiguilles est en cours de développement. Cette optimisation continue – Kaizen en japonais – ne profite pas seulement à la nonantaine de collaborateurs présents à la production de Tudor: les améliorations peuvent également servir la grande sœur Rolex. Et inversement. Car, insiste le chef d’atelier: «Ce n'est que lorsqu'une personne se sent bien qu'elle fait du bon travail.» 

Retour à la salle de conférence, face à un mur de trophées qui rappelle la longue histoire de Tudor et qui jalonnent tout le parcours, jusqu’au slogan actuel, «Born to dare» – Née pour oser. Le slogan est récent, mais il aurait pu être de la plume de Hans Wilsdorf (1881-1960), créateur de Rolex, dont le programme initial est toujours d’actualité: «Pendant plusieurs années, j'ai pensé à fabriquer une montre-bracelet qui pourrait être vendue par nos concessionnaires à un prix inférieur à notre Rolex, mais qui serait tout aussi fiable. Aujourd'hui, j'ai décidé de créer une société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'une telle montre. Cette société s'appelle Montres Tudor S.A.»

Pendant longtemps pourtant, le calme a régné autour de Tudor – vu de Suisse du moins, car la marque est toujours restée active en Chine. Mais il y a quelques années, Tudor est revenue à l’avant-scène, jusqu’à ouvrir son propre stand au salon horloger de Bâle. La marque s’est tout de suite inscrite sur le design contemporain et la tendance néovintage et a rapidement trouvé son public. La discrète entreprise ne publie aucun chiffre, mais la production annuelle est estimée entre 200'000 et 300'000 montres, écoulées dans quelque 1600 points de vente dans le monde – tous des détaillants externes, Tudor ne possède aucune boutique en propre.

On peut supposer sans peine qu’Hans Wilsdorf serait enthousiasmé de voir comment fonctionne Tudor aujourd'hui, au plus proche de ce qu’il avait lui-même construit. «Notre objectif est clair, déclare le porte-parole de Tudor. Nous voulons offrir la meilleure qualité possible au meilleur prix possible.»

Le positionnement prix se situe entre 2000 et 5000 francs. Le best-seller, le modèle Black Bay, par exemple, est proposé dès 3250 francs sur bracelet cuir – 3500 sur bracelet acier – équipé d’un calibre manufacture assez poussé technologiquement et 100% Swiss Made. Tudor utilise toujours quelques mouvements achetés à l’extérieur, mais se concentre de plus en plus sur son propre calibre.

Tout a commencé avec la référence MT 5612, un mouvement à trois aiguilles qui est également fourni à Breitling. En retour, Breitling livre Tudor avec son mouvement chronographe B01, qui est intégré sous le matricule MT5813 après quelques modifications, rotor, organe réglant, décoration, réserve de marche de 70 heures. Le mouvement est également équipé d'un spiral paramagnétique en silicium et certifié par le Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres (COSC). Il est enfin soumis au contrôle qualité maison. Et ici aussi la proximité avec Rolex est tangible, qu'il s'agisse de tester la tête de montre ou de soumettre des composants à l’épreuve du vieillissement artificiel, afin d'identifier et d'éliminer tous les points faibles avant le début de la production.

Avec cet objectif immuable, le même qu’Hans Wilsdorf a toujours défendu: renforcer la qualité en permanence. Un crédo qui n’a jamais été aussi vivant, comme le rappelle la traditionnelle visite annuelle du directeur de Tudor dans les ateliers de production et cette question rituelle: «Qu’avons-nous amélioré cette année?» Le fait est que jusqu’à présent, il a toujours reçu une réponse convaincante. Cela fait sans doute partie de la recette du succès. |


 

N°43
Nov.-Déc. 2019

 
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SOMMAIRE | 43
Stelux Holdings | Monocoque | Lonis | Auguste Reymond et l’Unitas | Longines | Visite chez Tudor | Calibre 11 | Armin Strom | Interview Tim Malachard, Richard Mille | Maurice Lacroix & les salons | Interview Guido Zumbühl, Bucherer | Swiss Kubik | Van Cleef & Arpels | Vacheron Constantin | A. Lange & Söhne…


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